Les premières descriptions de jardins impériaux et de paysages miniatures remontent aux dynasties Qin et Han (221 av-220). Mais l’art des jardins atteint son apogée sous les Tang et les Song (618-1279), puis sous les Ming et les Qing (1368-1911).
Art sacré au même titre que la peinture ou la poésie, les jardins chinois ont parfois été réduits à une forme de loisir élégant. Et pourtant ils sont lieux de magie : l’homme recrée symboliquement un cosmos miniature, une Nature idéale, dans lequel il puisse s’imprégner du rayonnement de qi des éléments environnants et se régénérer jusqu’à retrouver l’état de bonheur originel, en osmose avec le Ciel et la Terre.
En son jardin le Chinois fait en sorte que soient visibles les traces du passage des énergies vitales, tout autant dans la composition des éléments naturels (yin) : l’eau, la pierre, la végétation, que dans les éléments fabriqués (yang) : les pavillons, les murs, les ponts, les socles.
Les jardins étaient des lieux dans lesquels on se promenait, bien sûr, mais l’on s’y adonnait aussi à une foule d’autres activités : on y étudiait, on y faisait de la calligraphie, on y peignait, on y regardait des antiquités, on y jouait de la musique, on y buvait du thé, on y récitait des poèmes, et, aussi, on y pratiquait la méditation. Plus rarement on y donnait fêtes ou banquets. Ces jardins étaient souvent des endroits où leurs propriétaires, marchands ou fonctionnaires, se retiraient seuls voire en compagnie d’un ou deux amis pour jouir d’un moment de calme à l’écart des affaires et des tracas de la vie quotidienne.
Lorsqu’on le traverse, ce qui déroute souvent, c’est que l’espace du jardin se dérobe constamment au regard. Jamais l’on arrive à le saisir dans son entier. L’ensemble est rythmé par un réseau de murs troués ici, de portes rondes là, de fenêtres ajourées, qui finit par transformer le jardin en une infinité de cours et de recoins. Les ouvertures dessinent des scènes et provoquent des surprises esthétiques, petits chocs destinés à réveiller l’âme du promeneur et l’inciter à aller découvrir de nouvelles visions; les fenêtres laissent deviner en les magnifiant arbres, bambous ou rochers, qui se détachent, comme peints, sur un mur de couleur claire. La scène la plus importante de ce lieu est sans conteste la montagne artificielle de pierres(yang) dressée au-dessus d’un étang (yin).
Le jardin est conçu afin de privilégier tour à tour deux types de vision : la vision d’un point fixe et la vision dans le déplacement. La vision d’un point fixe donne animation aux éléments : la course des nuages, le courant de l’eau, le vol des oiseaux, la chute d’un pétale. Dans le jardin même la dynamique des pierres devient perceptible. Inversement la vision dans le déplacement rend immobile les rochers, les arbres, le ciel, le courant semble stagner. L’habitat est composé de bâtiments séparés par des cours, disposés selon un ordre conventionnel, en principe le long d’un axe (yang). Les jardins, eux, ont un plan libre et asymétrique (yin). Dans toute composition il y a un espace ouvert dans lequel sont mis en place les principaux décors et les pavillons les plus importants pour les contempler, au cœur d’un entrelacs de galeries, de chemins et de bosquets.
Un jardin se vit dans le temps des saisons, avec les jeux de lumière et d’ombre, d’alternances diurnes et nocturnes, de succession des floraisons : au travers des incessantes et multiples transmutations, le jardin acquiert une nouvelle dimension, celle où chaque instant se définit par des visions éphémères et des impressions fugitives, dans un univers en perpétuel devenir.
Le dresseur de pierres
En Chine on parle de construire un jardin plutôt que planter un jardin. L’œuvre du maître jardinier pour le dressage d’une montagne participe à l’osmose entre le Ciel, la Terre et l’Homme, les trois Génies de l’Univers. Les maîtres jardiniers, appelés aussi » dresseurs de pierres « , étaient au moins peintres et poètes, et s’ils n’étaient pas moine de surcroît ils entretenaient un rapport mystique avec leur art. Un jardin peut être conçu quelle que soit l’orientation du terrain, mais sa conception doit tenir compte de l’orientation du site, de son relief, des hauteurs et des dépressions, des paysages et ambiances alentours. Un jardin chinois sans bâtiments pour le diviser, l’entourer est tout simplement inconcevable.
On cherche à donner une illusion d’étendue quand l’espace est réduit, à donner de la densité au vide ou, matérialisant l’irréel, à alterner le mystère et l’évidence, les approches faciles et les retraites profondes. La matérialisation de l’irréel vient, par exemple, de l’aménagement d’une échappée vaste et dégagée au détour d’une colline qui semblait barrer l’horizon, ou bien encore par une ouverture inattendue sur un autre jardin depuis un élément d’architecture en impasse.
Ji Cheng
On dit de Ji Cheng qu’il était semblable à une pierre solitaire. Ji Cheng est un maître jardinier chinois à qui on doit le traité » Yuanye « , le traité du jardin, publié en 1634 (fin des Ming). Il a créé son premier jardin à l’âge de 40 ans. A Yangzhou il a construit le jardin du Zheng Yuanxun (jardin de la réflexion), un des trois qui lui sont attribués de façon certaine.
Le texte de Ji Cheng contient des notions d’une étonnante modernité : l’auteur y évoque notemment le respect de la nature et de l’environnement, l’intégration au site, la protection des sources naturelles et la préservation des nappes phréatiques, la sauvegarde des éléments végétaux existants, l’harmonie de l’orientation des édifices avec les activités projetées ou les plantations envisagées. Notions qui restent plus que jamais à l’ordre du jour.
Le convoi des plantes et des pierres
L’empereur Huizong de la dynastie Song, piètre gouvernant mais grand esthète et amateur de jardins et de pierres fit créer de nombreux jardins de grandes superficies. Sur ordre impérial, Zhou Mian, fonctionnaire corrompu, créa un service administratif à Pingjiang (aujourd’hui Suzhou) chargé de collecter des plantes rares et des pierres exceptionnelles afin de les expédier à la capitale Bianliang (aujourd’hui Kaifeng). Certains rochers, de plusieurs mètres de haut, étaient acheminés par voie fluviale, mobilisant les efforts de milliers de manœuvres réquisitionnés pendant plusieurs mois. Outre les accidents mortels, ces transports s’accompagnaient d’un cortège de calamités telles que des enceintes de villes défoncées, des ponts démontés, des maisons rasées, etc. Certaines de ces pierres se trouvent encore dans les jardins de Beijing, après leur second transport, après que l’armée Jin eut conquis la capitale (l’acheminement se faisait sur le Grand Canal depuis Jiangnan jusqu’à la frontière des provinces de Shandong et Henan). On trouve encore aujourd’hui des rochers abandonnés lors de leur transport et récupérés par des amateurs pour orner leur jardin, tel le rocher Yulinglong, dans le jardin Yuyuan à Shanghai, ou la pierre Guanyunfeng dans le jardin Liuyuan, à Suzhou, par exemple.